lundi 17 septembre 2012

L'IVOIRIEN ET LE GASPILLAGE DU TEMPS


L'IVOIRIEN ET LE GASPILLAGE DU TEMPS

by Macaire Etty on Sunday, 16 September 2012 at 19:53 ·

Comme l’argent, le temps est un capital qui, bien investi, bien exploité produit des richesses aussi bien matérielles qu’intellectuelles. Malheureusement, les Africains semblent ne pas prendre conscience de la valeur du temps. Aussi, le gaspille-t-ils à longueur de journée comme s’ils n’en avaient en abondance. Belle et incroyable habitude pour des hommes qui sont considérés comme les plus pauvres de la planète ! Dans notre pays, le gaspillage du temps trouve sa manifestation dans certaines manies coriaces.

D’abord, aucune activité ne commence à l’heure et personne ne se soucie d’être ponctuel. L’ambulance vient en retard, le train vient en retard, le corbillard vient en retard, la chorale vient en retard, la sécurité vient en retard, les pompiers viennent en retard, l’examinateur vient en retard, la mariée arrive en retard. Et tout le monde s’en accommode bien, car chez nous ne pas respecter l’heure est une seconde nature. Dans les services, le patron sans scrupule, prend un plaisir mâle à faire attendre une file de personnes venues solliciter sa signature, son assistance administrative, son conseil. Et pendant ce temps des montagnes de dossiers frustrés attendent dans le silence d’un bureau la précieuse signature, l’inestimable cachet ou un cerveau pour les examiner. Nous allons aux réunions avec une heure de retard sous le fragile prétexte qu’ « en Afrique, une réunion ne peut commencer à l’heure ». Et malgré notre retard, nous arrivons avant le début de la réunion. Tout simplement parce que celui qui l’a convoquée, lui-même est venu deux heures après. Et tout le monde est content du retard avec lequel la réunion a commencé. Les retards des hauts responsables sont si coutumiers que l’on a fini par adopter complaisamment cette charmante boutade : « le patron n’est jamais en retard, il a eu un empêchement ». Et tout le monde comprend et pardonne le retard du chef en attendant un jour de devenir chef pour jouir abondamment, lui aussi, de son droit de venir en retard. Comment peut-on aller en retard à un entretien d’embauche alors que nous courons derrière notre premier emploi depuis une demi-décennie ? Chez nous, ces retardataires de cet acabit courent les rues. Même lorsque les autorités d’une quelconque administration fixe un délai pour une activité, elles prennent toujours le soin de fixer un autre délai pour les éternels retardataires. Ces derniers trouvent normal que l’on tienne toujours compte de leur tare congénitale.

Mais peut-on aller à l’heure quand l’environnement dans lequel nous vivons n’accorde aucune importance au temps ? Même le sommet de l’Etat n’est pas exempt de reproches. Tous nos chefs d’Etat nous ont habitués à venir au-delà de l’heure pour laquelle la population a été mobilisée pour les attendre. Cette habitude, semble-t-il, est liée à des questions de sécurité. Qu’en est-il alors des ministres, des députés, des maires, des PDG, des DG ? L’importance d’un haut responsable est proportionnelle à ses heures de retard. Personne ne se croit obligée, par respect de l’autre, d’être ponctuelle. Mais qui va sanctionner le préfet en retard dans une ville où il est la plus haute autorité ? Qui va tirer les oreilles au président du tribunal dans un service où il est le grand manitou ? Le maire, le premier magistrat de la commune a-t-il une fois été sommé par ses administrés de les respecter en venant aux rencontres à l’heure ? Dans les hôpitaux, le médecin vient toujours en retard. La ponctualité est simplement dévolue aux infirmiers, le médecin, le patron lui se donne le droit de venir à l’heure qui lui convient. Pendant ce temps des malades agonisants, à force de ronger leur frein, préfèrent se laisser emporter par la mort.

Ensuite, à côté de cette plaie puante qu’est le retard, il y a aussi le refus d’utiliser le temps à travailler. Le temps est gaspillé dans l’inactivité et l’oisiveté. A Abidjan, et à Abidjan surtout, le travail au public est l’affaire d’une poignée de fonctionnaires consciencieux. Et ceux qui acceptent de travailler se donnent le droit de s’en abstenir les vendredis. Officieusement, c’est le jour des levées de corps et des convois funèbres. Tout le monde le sait et en parle mais personne ne prend des mesures. Car tout le monde en profite. Or cette ruée vers les obsèques le plus souvent n’est qu’une occasion pour se donner à de multiples cochonneries et lubricités (nous y reviendrons). Les ministres qui doivent sévir ou donner l’exemple sont eux-mêmes emportés par la fièvre des obsèques du vendredi. Pour un pays où le samedi est férié, le travail hebdomadaire se réduit à cinq jours. Mais ces cinq jours sont-ils réellement mis à profit ? Bien sûr que non ! Comment dans ces conditions, pouvons-nous rêver de développement et de progrès ?

Pour faire apposer une simple signature sur un dossier, il n’est pas rare d’attendre des jours voire des mois. Combien de fois des citoyens n’ont-ils pas attendu sur des bancs dans des services pendant des heures pour se faire recevoir ou se faire dire qu’ils ne peuvent pas être reçus ? Un dossier qui n’a pas été traité dans le temps, c’est un grain de sable jeté dans la machine du développement. Et quand il arrive par hasard de nous occuper un temps soit peu, nous nous adonnons à des activités oiseuses. Combien de temps passe-t-on devant l’écran de la télévision pour consommer des films incestueux et violents ? Combien d’heures passons-nous assis au maquis, au cabaret, pour nous empoisonner l’organisme d’alcool ? Combien de temps perdons-nous à discuter de sujets stériles et creux au détriment des débats de fonds qui engagent notre destin commun ? Combien de temps passons-nous au téléphone à faire des conversations paresseuses ? Combien de temps brûlons-nous à dénigrer, à calomnier, à médire, à mentir, à errer, à dormir ? Pendant ce temps, le travail attend, les dossiers attendent, les malades attendent, les élèves attendent, les inculpés attendent, les convoqués attendent, les administrés attendent, les clients attendent.

Et dire que dans les pays riches, dans les pays qui sont déjà développés, tout se fait à pas de course. L’écrivain ne dit pas autre chose quand il s’interroge : « Pourquoi les Africains affectionnaient de trainer ainsi les pieds ? Pourquoi les Européens et, par-delà, les Blancs, faisaient-ils tout sur le mode de la vitesse, de l’empressement, et les Africains, celui de la lenteur, de l’indolence paresseuse ? Qui donc, du Noir ou du Blanc, avait besoin d’aller vite ? » (in Mémoire d’une tombe, de Tiburce Koffi).

Le temps est aussi une matière première, une richesse inestimable qu’il faut pouvoir mettre à profit. Le temps doit être investi. C’est de cette façon qu’il peut produire des richesses. En sus, il faut savoir le gérer, l’organiser. L’Afrique commencera sa révolution le jour où elle comprendra que le temps ne doit pas être gaspillé. Pour la Côte d'Ivoire de demain, apprenons à gagner du temps. C’est de cette façon que nous gagnerons le défi du progrès.

ETTY MACAIRE

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